L'origine des Negro Spirituals
remonte au temps de l'esclavage. Ces chants, empreints d'espoir et de
ferveur religieuse, expriment tout le drame des populations africaines
déracinées et vendues pour travailler dans les
plantations du sud des Etats-Unis. Le Gospel est une création
plus récente née dans les communautés noires
américaines des grandes villes du Nord. Tout
a commencé en 1619, lorsqu'un navire hollandais débarqua
sur les côtes de Virginie les premiers esclaves africains. On
trouva que ces hommes s'adaptaient bien au climat et qu'ils pouvaient
être d'un excellent profit pour l'économie locale. Aussi
d'autres navires négriers suivirent et, année
après année, pendant plus de deux siècles, des
centaines de milliers d'êtres humains furent arrachés
à leur sol natal et transportés, dans des conditions
effroyables, vers les rives américaines.
L'esclavage
fut à son
apogée, au début du 19ème siècle, avec le
développement du coton. En 1860 on comptait plus de quatre
millions d'esclaves aux Etats Unis. La guerre de Sécession et
l'influence des mouvements humanistes conduisirent à l'abolition
de l'esclavage en 1865. Mais c'est à la même époque
qu'apparut le Ku Klux Klan et les réactions
ségrégationnistes. La lutte pour une complète et
réelle liberté allait encore durer bien des
années, jusqu'aux mouvements pour les droits civiques, entre
1960 et 1970, avec l'inoubliable figure de Martin Luther King.
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Pendant la
traversée. Gravure 1840 (Librairie du congrès)
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Colonne d'esclaves
enchainés
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Les
esclaves des premiers temps vivaient séparés du monde des
blancs, avec, au fond de leurs cœurs, ce qui leur restait de tradition
africaine. Au milieu du 18ème siècle, lors d'un grand "
réveil religieux ", des prédicateurs baptistes et
méthodistes vinrent leur révéler la Bible.La
religion des blancs se répandit rapidement auprès de ces
populations esclaves qui reçurent particulièrement bien
les messages de délivrance dans l'au-delà, de justice
faite aux petits, et de damnation des tyrans oppresseurs. En même
temps que les images bibliques, les missionnaires
véhiculèrent les cantiques en vigueur dans les
églises de cette époque. A partir de là se
produisit une alchimie inattendue qui donna naissance à un genre
musical complètement nouveau, tant par les mélodies que
les rythmes et l'interprétation, ce furent les Negro Spirituals,
conçus dans la ferveur des assemblées religieuses par de
pauvres êtres, qui transcendaient leur soif de justice et de
liberté. |
Sans doute
à l'origine, ces chants étaient lancés par un "
leader " au cours de réunions de prière et repris par
l'assemblée, avec des improvisations spontanées. Les
instruments étaient quasi inexistants, sauf quelques percussions
rustiques, ou simplement des battements de mains. Les paroles
étaient fortement inspirées par l'Ancien Testament : le
petit David, Josué à Jéricho, le chariot
d'Ezéchiel, la traversée du Jourdain, etc. |
Pendant
près de deux siècles, les esclaves noirs ont
façonné ces chants extraordinaires, sans que le monde
blanc ne s'en soucie. Leur transmission s'effectuait uniquement de
bouche à oreille, de plantation en plantation, de
génération en génération.

Boutique
d'un marchand d'esclaves...
Alexandria,
Virginie
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Ce
n'est que vers 1860 que des musicologues américains
commencèrent à retranscrire les negro spirituals (on en a
dénombré depuis plusieurs milliers !). En 1861 le New
York Times publiait pour la première fois le
célèbre "Let my people go ". Le succès fut
immédiat. On découvrit que les esclaves avaient su
créer une musique originale, d'une incroyable richesse et
profondément émouvante. En 1871, les spectateurs purent
entendre les premiers spirituals chantés par une chorale
composée d'anciens esclaves, les Fisk Julibee Singers, qui
cherchaient des subsides pour leur université. Trois ans plus
tard, les Fisk Jubilee Singers se produisirent devant le
président des Etats-Unis, et firent même une
tournée en Europe. Mais pour se plier aux conventions musicales
de l'époque, les spirituals furent habillés des subtiles
couleurs harmoniques de la musique des blancs.
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On en simplifia
les rythmes. On oublia la rudesse des voix qui chantaient
dans les plantations. On vit fleurir sur les meilleures scènes
des groupes vocaux et des solistes, aux voix travaillées,
qui interprétaient des spirituals de manière
classique. |

Vente
d'esclaves dans le sud, milieux du 19° sciècle
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C'est ainsi que ces chants se
trouvèrent rapidement intégrés à la
tradition musicale américaine. Dans les années 30, un
compositeur blanc, Georges Gershwin, écrivit son
opéra-chef d'œuvre, Porgy and Bess, alliant subtilement les deux
cultures. Comme autres exemples de cette intégration, il faut
évoquer les grandes voix noires du 20ème siècle
qui ont toujours conservé des spirituals dans un coin de leur
répertoire : Paul Robeson, Marian Anderson, ou, plus près
de nous, Barbara Hendricks ou Jessie Norman.
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En parallèle à cette voie "
classique ", les negro spirituals sont considérés, avec
le blues, leur pendant profane, comme l'une des sources directes du
jazz au début du 20ème siècle (cellules
rythmiques, lignes mélodiques, improvisation, dialogue
leader-assemblée). |
Après
la guerre de
Sécession, les noirs quittèrent les états du Sud
dévastés pour rejoindre les grandes villes du Nord.
Libres, mais sans travail, ils se regroupèrent en
communautés. Bien qu'éloignés du monde rural de
leurs pères, ils témoignaient toujours d'une intense
ferveur religieuse, attisée par des pasteurs charismatiques.
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Cueillette du coton par les esclaves. Mississipi 1881.
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Mais
ils préféraient
désormais chanter leur confiance en Jésus dans la vie de
tous les jours, plutôt que l'espoir d'une liberté dans la
mort. Les spirituals des temps anciens n'étant plus
adaptés à ces aspirations, des musiciens noirs de grande
valeur surent créer un nouveau répertoire: les Gospel
Songs.
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Le Gospel, né dans les
années 1920-1930, fait la synthèse entre les hymnes
évangéliques blancs, les spirituals, héritage du
passé, et les musiques profanes noires, jazz et blues. Des
grands compositeurs, comme Thomas Dorsey (1899-1993) ont animé
le mouvement Gospel en créant des maisons d'édition et
d'enregistrement, en organisant des concerts et des grands
rassemblements et, surtout, en révélant au monde les
superbes voix d'artistes telle Mahalia Jackson, qui se produisit sur
toutes les scènes du monde, jusqu'à sa mort en 1972.
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Annonce d'une vente d'esclaves. .. Nouvelle-Guinée
1789.
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Le Gospel témoigne
aujourd'hui d'une grande vitalité aux Etats-Unis et dans de
nombreux pays. Sa force vient de sa capacité à
intégrer les musiques du moment (soul, R&B, rap,
électro), sans jamais renier ses origines. Le gospel est plus
qu'une musique, c'est toute une culture, au delà des modes, qui
permet aux hommes d'exprimer leur foi et leur espoir d'un monde plus
fraternel.
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